La rupture de crédit aux entreprises : faisons le point
Les entreprises ont besoin de la trésorerie à l’occasion de l’exercice de leurs activités. Ce besoin est généralement comblé par le recours au financement des établissements de crédit et assimilés. Cela est d’autant plus une réalité qu’en temps de crise sanitaire ayant fortement impacté les finances des entreprises, le besoin de financement devient de plus en plus pressant.
Le financement accordé par les établissements de crédit peut être à long, voire très long terme, comme il peut être de courte durée. Le financement peut également être à durée indéterminée.
En tous les cas, l’octroi du financement se situe dans un cadre partenarial généralement bien établi et qui se voudrait être profitable aux parties à la relation contractuelle. Oui, la « relation contractuelle » puisque le concours de l’établissement de crédit est formalisé au travers d’un acte : le contrat de prêt.
C’est ce contrat de prêt qui pause les modalités d’exécution, mais également les droits et les devoirs respectifs de l’entreprise financée et de l’établissement financeur.
Si l’une a le plein droit d’user du concours financier qui lui est accordé, l’autre a tout aussi les prérogatives de rompre son concours, à la condition de respecter certaines règles.
L’article L. 313-12 du Code monétaire et financier précise les règles qui régissent la rupture de crédits accordés aux entreprises.
L’éventuelle rupture de concours bancaire doit se situer dans le strict cadre de ce texte.
Ainsi, la rupture de crédit régit par le texte susvisé relève d’un domaine précis (I), et obéit à certaines conditions strictement posées (II) dont l’inobservation est sévèrement sanctionnée (III).
I. Le domaine d’application de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier
L’article L. 313-12 du Code monétaire et financier exclue les concours accordés occasionnellement aux entreprises par les financeurs. Ce texte ne s’applique qu’aux concours qui auront été accordés à l’entreprise pour une durée indéterminée.
De plus, l’octroi de crédit ne peut l’être que de la part, soit d’un établissement de crédit, soit d’une société de financement.
L’établissement de crédit est une entreprise dont l’activité consiste, pour son propre compte et à titre de profession habituelle, à recevoir des fonds remboursables du public et à octroyer des crédits[1].
La société de financement est une personne morale, autres qu’un établissement de crédit, qui effectuent à titre de profession habituelle et pour son propre compte des opérations de crédit dans les conditions et limites définies par son agrément[2].
Ainsi, hormis ces deux catégories de financeurs, aucun autre ne saurait prétendre accorder un concours aux entreprises qui serait susceptible d’être rompu sur le fondement de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier.
Les titulaires du droit de la rupture de concours sont donc parfaitement connus et constitue l’une des conditions de validité de celle-ci.
II. Les conditions de validité de la rupture du concours
L’établissement financeur est admis à rompre son concours sous réserve de l’observation de certaines conditions.
Aux termes de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier, le concours financier consenti à une entreprise par un établissement financeur – établissement de crédit ou société de financement – ne peut être réduit ou interrompu que sous les conditions suivantes :
- La notification écrite de la réduction ou de l’interruption du concours ;
- La mise en œuvre de la réduction ou de l’interruption seulement à l’issue d’un délai de préavis prévu lors de l’octroi du concours ;
- La durée du préavis doit être d’au moins soixante jours[3].
L’obligation de notification écrite et préalable à la décision de rompre le concours prévaut en toute hypothèse et ce, même en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou lorsque sa situation s’avère irrémédiablement compromise[4].
Aussi, le législateur impose une obligation de motivation de la décision de rupture de concours si une demande de l’entreprise bénéficiaire de celui-ci lui était adressée en ce sens : « l’établissement de crédit ou la société de financement fournit, sur demande de l’entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption »[5].
Toutefois, cette demande de motivation ne peut provenir d’un tiers, et ne saurait être communiqué à un tiers. Cette disposition est bien opportune dans la mesure où elle protège les parties au contrat de financement en excluant toute immixtion de personnes étrangères à la relation contractuelle qui seraient notamment tentées de rechercher la responsabilité de l’établissement financeur.
L’alinéa 2 de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier précise à cet effet : « L’établissement de crédit ou la société de financement ne peut être tenu pour responsable des préjudices financiers éventuellement subis par d’autres créanciers du fait du maintien de son engagement durant ce délai ».
Le législateur protège ici à juste raison le financeur en proscrivant la recherche de sa responsabilité du fait du maintien du concours pendant le délai d’au moins soixante jours. Il aurait été inique et paradoxale d’imposer le maintien du concours pendant ce délai – ce qui constitue déjà un effort de la part du financeur –, et d’admettre l’engagement de sa responsabilité du fait même de ce maintien.
L’observation du délai de soixante jours sus indiqué n’est pas obligatoire dans deux hypothèses conformément à l’alinéa 3 de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier :
- D’une part, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ;
- D’autre part, au cas où la situation du bénéficiaire du crédit s’avérerait irrémédiablement compromise.
L’établissement financeur n’est pas contraint d’observer le délai de préavis quand bien même il adopterait un comportement fautif, de type absence de vérification de l’identité du déposant des chèques et de sa qualité de véritable bénéficiaire de ceux-ci, si l’entreprise financée se rendait coupable de comportement gravement répréhensible ou au cas où sa situation s’avérerait irrémédiablement compromise[6].
L’exigence de préavis s’efface ainsi en présence d’un comportement gravement repréhensible du bénéficiaire du concours, ou dans l’hypothèse où la situation du bénéficiaire est irrémédiablement compromise.
Le financeur demeure néanmoins soumis à des sanctions en cas d’inobservation des dispositions législatives.
III. Les sanctions de l’inobservation des dispositions de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier
L’article L. 313-12 du Code monétaire et financier prévoit deux sanctions qui pourraient être prononcées à l’encontre du financeur d’entreprise qui aurait enfreint les dispositions du texte.
L’alinéa 1er du texte consacre la nullité de la rupture du concours qui aura été prononcée par l’établissement financeur : « … Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours ».
La nullité ne vaut ainsi que dans l’hypothèse du non-respect du délai de soixante jours avant de rompre le concours préalablement accordé.
De plus, l’alinéa 4 de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier dispose : « Le non-respect de ces dispositions peut entraîner la responsabilité pécuniaire de l’établissement de crédit ou de la société de financement ».
L’entreprise qui subi un préjudice du fait de la rupture de concours peut donc valablement rechercher la responsabilité de l’établissement financeur.
Ces deux sanctions sont cumulables dans la mesure où la nullité de la rupture du concours engendre la poursuite du financement de l’entreprise qui aura certainement subi des préjudices du fait de cette rupture par l’absence de trésorerie que cela à pu occasionner.
Il serait ainsi profitable aux entreprises confrontées à une rupture abuse de concours de vérifier si les agissements du financeur sont conformes au texte régissant la matière, notamment le respect du délai de préavis. Dans le cas contraire, les entreprises peuvent demander la nullité de rupture injustement prononcée et rechercher la responsabilité de l’établissement financeur, devant la juridiction compétente.
[1] Article L. 511-1 du Code monétaire et financier.
[2] Ibid.
[3] Conformément au décret n° 2005-1743 du 30 décembre 2005, codifiant un article D. 313-14-1 au Code monétaire et financier.
[4] Com. 18 mars 2014, n° 12-29.583.
[5] Article L. 313-12, al 1er du Code monétaire et financier.
[6] Com. 11 septembre 2019, n° 17-26.594.